Que signifie « bioclimatique », quel est son origine ?
Construire bioclimatique veut dire construire en prenant en compte les interactions entre le climat et l’écosystème. Plus simplement, qu’on construit en s’adaptant au mieux au site de la construction. Cette adaptation a deux buts principaux :
- Se protéger des aléas du climat (froid/chaud, vent, pluie etc.)
- Profiter des bienfaits du climat (lumière, chaleur ou fraîcheur naturelle selon la saison, brise douce, etc.)
Se protéger ses aléas du climat est le premier but de la démarche bioclimatique, car c’est historiquement la première fonction de l’habitat. Dès les premières habitations aménagées par des êtres humains, cet impératif s’est imposé. La possibilité de profiter des bienfaits du climat est du ressort du confort, et est donc une préoccupation beaucoup plus récente. Ce besoin de confort s’est cependant imposé dès la révolution industrielle dans les pays sur la voie de l’industrialisation, et a conduit à une augmentation sans cesse croissante de la consommation en énergie pour obtenir ce confort, à mesure d’une part que la classe moyenne croissait en nombre, et d’autre part que la surface occupée par habitant a augmenté. Finalement la définition moderne du terme « bioclimatique » apparaît après le choc pétrolier des années 1970, dès lors que le prix de l’énergie force les gens à tenter d’obtenir leur confort en gaspillant moins.
En matière d’habitat dans le climat français, le confort est une double exigence : avoir chaud l’hiver, mais n’avoir pas chaud l’été. Pour ce faire, il n’y a en fin de compte que deux axes de travail : mieux capter/se protéger de l’énergie solaire, et mieux conserver la chaleur/fraîcheur. Les maisons bioclimatiques actuelles résultent des premiers prototypes de maisons « solaires » bâties à partir des années 1960, et qui misaient essentiellement sur « mieux capter/se protéger de l’énergie solaire ». En exemple une maison conçue par Jean Francis Seguinel.
Enfin, une maison bioclimatique moderne se doit également de prendre en compte deux autres aspects qui ne sont pas directement liés au confort : la qualité sanitaire du lieu de vie créé, et l’impact écologique global de la construction. Ces deux points tendent de plus en plus à être associés à la démarche bioclimatique, ce qui devrait conduire à terme le bioclimatisme à construire des maisons réellement écologiques sur toute la ligne.
Approche bioclimatique : connaître l’être humain
Connaître l’être humain
Au départ, si on cherche à minimiser la consommation d’énergie ce n’est pas pour des raisons économiques ni même écologiques. C’est plutôt une question de paresse : consommer moins signifie avant tout moins d’efforts à faire pour générer cette énergie. C’est pourquoi toute chose dans la nature tend à trouver son état optimum avec « un maximum de confort pour minimum d’efforts ». Dans l’idéal, il faudrait pourvoir obtenir un confort parfait sans aucun effort (ou consommation d’énergie). Cela paraît improbable, mais l’est-ce vraiment ?
« Qu’est-ce que le confort thermique pour un être humain ? » devrais donc être la première question à se re-poser. L’humain est un mammifère à sang chaud, c’est à dire que son organisme contrôle à chaque instant ses réactions métaboliques pour maintenir le corps en entier dans une fourchette de température très étroite, aux environs de 37°C.
Régulation thermique du corps
Ce sang chaud est tout autant une aubaine qu’une malédiction. Une aubaine car il permet à l’humain de garder une capacité de mouvement, de pensée et d’action constante au fil des journées et des saisons, et de ce fait de s’adapter à de nombreuses conditions climatiques différentes. Une malédiction car cette température consomme une quantité effarante d’énergie pour se maintenir en milieu froid, et les possibilités de rafraîchissement du corps en cas d’environnement trop chaud sont limités. On pourrait supposer donc que pour avoir un confort maximum il faudrait générer un lieu à 37°C en permanence, déchargeant le corps de son travail pour maintenir la température.
Chacun sait pourtant que c’est faux. Pourquoi ? Parce que la température du corps dépend de nombreux facteurs :
- La température de l’air
- La vitesse de déplacement de l’air
- La teneur en humidité de l’air
- La quantité de rayonnement thermique reçue
- L’activité neuro-musculaire
On voit ainsi qu’il est très réducteur de supposer que seule une température de l’air de 37°C serait un idéal. L’idéal est un bilan équilibré (autant d’énergie dépensée que d’énergie reçue), mais en prenant en compte l’ensemble de ces paramètres, ce qui implique que l’idéal est en fait en évolution constante. Malgré tout, il existe une répartition de l’énergie entre ces paramètres qui donne les meilleurs résultats, c’est celle qui est la plus proche de l’environnement originel de l’humain (évidemment).
Ainsi Il faut pour un humain nu une température ressentie d’environ 24°C, une humidité atmosphérique entre 40 et 70%, et une vitesse de déplacement d’air faible. La température ressentie étant la moyenne de la température de l’air et de celle des parois (rayonnement reçu). Si l’humain pratique une activité neuro-musculaire autre que le repos, son corps va disperser de l’énergie supplémentaire, et donc son confort sera obtenu avec une température ressentie plus basse, une vitesse de l’air plus importante, ou un taux d’humidité plus faible.
Comment ces paramètres influent-ils sur le corps humain ?
1- la température de l’air :
Elle va définir quelle quantité d’énergie est perdue ou gagnée par la surface du corps en contact avec le milieu extérieur. L’énergie se transmet par contact et convection. C’est la donnée de base. Toute la surface du corps participe à cet échange, mais les zones cartilagineuses tout particulièrement, ainsi, nos oreilles servent en permanence de radiateur, et notre organisme régule la quantité de sang et sa vitesse de déplacement dans nos oreilles pour obtenir un rafraîchissement de l’organisme (oreilles chaudes), ou un effet de conservation de la chaleur (oreilles froides).
2- la vitesse de déplacement de l’air :
Une vitesse importante augmente la vitesse de renouvellement des molécules d’air au contact de la peau, et donc, augmente la vitesse des échanges, et créé en outre de forts échanges par convection et évaporation.
3- L’hygrométrie :
Le corps humain a besoin d’un air contenant de l’humidité pour respirer car ses muqueuses sont un milieu humide. Mais il a également besoin que le taux d’humidité ne soit pas trop élevé car il utilise le phénomène d’évaporation de l’eau pour se rafraîchir, via la transpiration. En effet, une molécule d’eau qui se vaporise absorbe dans l’opération beaucoup d’énergie. L’évaporation de notre transpiration fonctionne d’autant mieux que l’air est plus sec, car il pourra absorber toute l’humidité facilement, alors qu’un air déjà saturé en eau ne pourra pas évaporer notre transpiration qui condensera en eau aussitôt. L’augmentation de la vitesse de déplacement de l’air, s’il n’est pas saturé d’eau, augmente également la vitesse d’évaporation.
4- l’énergie rayonnée reçue :
Notre corps reçoit ou émet également de l’énergie sous forme de rayonnement infrarouges. Tout comme la température de l’air, l’intensité (la quantité) du rayonnement ainsi que sa longueur d’onde (la vitesse) influent sur l’énergie gagnée ou perdue par le corps dans cet échange permanent. La température ressentie est la moyenne de la température de l’air et de celle des parois (qui indique celle des rayonnements). Si ces deux températures ont un écart de plus de 3°C entre elles, le corps le ressent inconfortablement.
5- l’activité neuro-musculaire :
Tout le métabolisme du corps dégage de l’énergie dégradée sous forme de chaleur pour ses activités. Les organes dispersent de la chaleur en fonctionnant, la digestion disperse de la chaleur, les poumons également. Mais le corps peut aussi faire des actions physiques utilisant l’énergie musculaire qui elles aussi dispersent de la chaleur, proportionnellement à l’effort. Lorsqu’il est au repos et que la chaleur reçue est insuffisante, le corps génère automatiquement de l’activité musculaire pour disperser de la chaleur, c’est le phénomène de frissonnement. Le corps humain adapte en permanence ses différents moyens de régulation (oreilles, transpiration, activité métabolique, frissonnement) en fonction des conditions pour se trouver dans l’optimum. Lorsqu’il ne peut plus y parvenir parce que le milieu est trop hostile ou parce qu’il a épuisé ses réserves d’énergie, il tombe rapidement dans un état de catalepsie qui mène à la mort. A cause du froid, ou à cause du chaud.
Sachant cela, nous pouvons dès maintenant mieux comprendre les raisons de certaines choses que nous connaissons tous.Exemple : les vêtements à base de fibres plastiques sont inconfortables l’été, et peuvent également l’être l’hiver. C’est tout simplement parce qu’il empêchent la vapeur d’eau de s’échapper, ce qui créé un zone d’humidité saturée dans l’air emprisonnée entre le vêtement et notre peau. Du coup, le processus de transpiration ne fonctionne plus et l’humidité s’accumule. C’est pour cela qu’un K-way est moins confortable qu’une chemise en coton.
Autre exemple : un simple ventilateur ne rafraîchit pas l’air de la pièce, il ne fait que l’accélérer. Pourtant, cette accélération se traduit par une sensation de fraîcheur sur notre peau, car elle augmente la vitesse des échanges thermiques. Mais dès qu’on sort de la zone d’air accélérée, la sensation disparaît.
Dernier exemple : pendant une belle journée de sport d’hiver, la quantité de rayonnements reçus est telle, avec en plus la réflexion par la neige, qu’il est possible d’obtenir la sensation de confort thermique avec une faible épaisseur de vêtements, alors même que la température de l’air extérieur est à moins de 0°C. L’exemple du k-way se cumule dans ce cas, et les gens dotés d’habit perméables à la vapeur d’eau se sentiront bien mieux que ceux enfermés dans des combinaisons étanches.L’habitat devrait donc proposer un lieu qui non seulement ne perturbe pas le fonctionnement normal de notre corps, mais, dans l’idéal, s’y adapte pour que ses occupants parviennent plus facilement au confort.
Inutile de préciser que la construction conventionnelle est assez loin de se préoccuper de ce genre de considération sur le confort humain… Par contre, il ne faudrait surtout pas déduire de cette conclusion que l’adaptation doive résulter d’une complexité technologique supplémentaire. Une machine peut assurer notre confort, mais elle consomme de l’énergie, ce qui n’était pas le but. Notre objectif est double : obtenir le meilleur confort possible, MAIS avec une dépense de technologie et d’énergie minimale.
Prendre en compte le climat : exemple avec le climat d’Orléans
Après avoir fait le tour de ce qui détermine la sensation de confort chez l’être humain, il faut étudier un peu le fonctionnement de notre environnement immédiat. Le climat varie au fil du temps et des régions, il donnera donc des paramètres différents en fonction des sites. Pour ce dossier, nous n’étudierons que le climat de la région centre. Cette région se trouve dans l’hémisphère nord, dans la zone tempérée. Cela signifie qu’il y a quatre saisons différentes bien marquées avec des régimes de pluie relativement constants sur l’année, et de grandes variations de température entre l’hiver et l’été. Ces variations sont toutefois amoindries par la relative proximité de la mer, et ne sont pas aussi marquées que dans un climat véritablement continental. Situé dans l’hémisphère nord, le soleil tourne de l’est vers l’ouest en passant par le sud, et son altitude ainsi que sa course dans le ciel varient du sud-est à sud-ouest en hiver, au nord-est à nord-ouest en été avec un écart entre les deux solstices d’environ 40°. Les vents dominants sont ouest et humides, ou nord-est et sec. La température hivernale descend fréquemment en dessous de zéro.
Ces paramètres étant différents pour toutes les régions ou latitudes, il est évident que la manière de construire de manière bioclimatique le sera aussi. Il ne peut donc pas y avoir de solution idéale universelle.
Par définition, une construction bioclimatique est adaptée au climat du terrain sur lequel elle se trouve. Pour notre exemple en région centre, le climat nous indique que nous allons avoir besoin de trouver de la chaleur en hiver car il fait trop froid pour que le confort soit obtenu sans rien faire, et qu’il faudra probablement rafraîchir en été car la chaleur risque d’être de temps à autre excessive. En intersaison, les efforts pour générer un bon confort devraient être très limités. Nous avons donc deux impératifs qui sont à priori contradictoires : trouver de la chaleur, et s’en protéger. La régulation de ces deux impératifs est pourtant assez simple puisqu’ils correspondent à deux saisons précises et prévisibles.
La trajectoire du soleil varie tout au long de l’année. En hiver, il se lève au sud-est et termine sa course très tôt au sud-ouest après un parcours très bas sur l’horizon. En été, il fait presque un tour complet, du nord-est au nord-ouest, et il monte très haut dans le ciel.
Ce changement de trajet modifie donc profondément la quantité d’énergie que chaque paroi de la maison va recevoir au fil des saisons. Ainsi, le sud est la surface qui reçoit le plus d’apports en hiver mais elle en reçoit moins en été que les surfaces ouest et est.
Ceci s’explique par l’angle d’incidence des rayons lumineux par rapport à la surface : plus l’angle est grand, et plus l’énergie est réfléchie. En hiver le soleil bas sur l’horizon fait un angle faible avec les paroi vitrée verticales sud, donc elles transmettent bien l’énergie. En été, ces mêmes surface vont réfléchir une grande part de l’énergie solaire, ce qui ne sera pas le cas de la toiture et des façades ouest et est, qui recevront un rayonnement plus perpendiculaire, donc plus intense.
Reprenons les différents éléments qui définissent le confort pour les corréler avec le climat de notre terrain :
1 la température de l’air :
Comme nous l’avons vu, l’idéal se trouve à 22°C, pour un humain nu. Notre culture fait que nous vivons habillés, ce qui baisse cette température entre 19 et 20°C. Notre climat nous fournit naturellement cette température pendant la moitié de l’année. Il est trop froid pendant l’hiver et trop chaud pendant l’été. Notre habitat devra donc pouvoir compenser. Cependant, nos habitudes vestimentaires étant en adéquation avec ces variations, la température idéale en hiver est plus basse que 19°C, et plus haute en été que 22°C. En pratique, il nous faudra de la chaleur en plus à partir de 14°C l’hiver, et de la fraîcheur à partir de 27°C l’été. (Nous parlons toujours de température moyenne : celle de l’air et celle des parois. 14°C en hiver signifie donc toujours 14°C ressentis et non 14°C indiqué au thermomètre)
2 la vitesse de déplacement de l’air :
Le vent nous rafraîchi, or nous n’avons pas besoin d’être rafraîchi pendant les ¾ de l’année (printemps, automne et hiver), donc, notre logement devra être étanche au vent de manière à empêcher les déplacements d’air trop rapide à l’intérieur pendant la majorité du temps. Par contre, il devrait pouvoir permettre de laisser passer le vent pendant l’été.
3 l’hygrométrie :
Notre climat nous fourni une humidité de l’air qui reste dans notre zone de confort pendant toute l’année. Il n’y a donc aucun effort à faire de ce côté-là. Cependant, il faut que notre habitat permette les échanges de vapeur d’eau avec le milieu extérieur puisque nous-même dégageons naturellement de la vapeur. La plupart du temps, notre habitation devra donc pouvoir évacuer l’excédent de vapeur vers l’extérieur, et il n’y a que pendant l’été que ce ne sera plus nécessaire car alors la température sera assez élevée pour que l’air soit capable d’absorber toute la vapeur d’eau sans saturer (plus l’air est chaud, et plus il peut contenir de vapeur d’eau). Il n’y a donc à priori pas grand chose à faire pour la vapeur d’eau, MAIS, il ne faut pas perdre de vue que certains autres impératifs, comme par exemple celui d’empêcher le vent de traverser l’habitat, peuvent avoir une influence sur la transmission de vapeur : il faudra donc être étanche à l’air, mais pas à la vapeur d’eau, à la manière de notre peau par exemple.
3 bis protection contre la pluie :
La pluie directement au contact avec notre corps provoque presque inévitablement une sensation d’inconfort car elle augmente considérablement les échanges thermiques. Dans notre climat, la pluie est généralement trop froide ce qui nous fait perdre de l’énergie. L’habitat devra donc nous protéger contre la pluie, en toute saison. Notez que cet impératif n’est pas forcément valable dans toutes les régions du monde.
4 le rayonnement reçu :
Le rayonnement est directement proportionnel à la durée d’ensoleillement. Notre climat étant assez chargé en nébulosités, il est fréquent que le rayonnement soit en grande partie diffus et non plus direct, ce qui modifie sa répartition et la sensation qui en découle. Le rayonnement solaire est en corrélation avec la température de l’air : il sera donc suffisant en intersaison, insuffisant en hiver et excédentaire en été. Notre habitat devra donc faire en sorte de maximiser ses gains en hiver, de les réduire à néant en été, et d’être raisonnablement perméable au rayonnement solaire en intersaison.
5 l’activité neuro-musculaire :
Notre mode de vie est relativement codifié, il est donc possible dans une large part de prévoir quelle sera l’activité générée dans une pièce. La position de la pièce dans la maison, sa taille et son volume vont influencer sa température. Il sera donc judicieux de faire en sorte que les pièces pour des activités génératrices de chaleur ne soient pas déjà naturellement chaudes, et qu’au contraire les pièces d’activités calmes le soient. Il y a deux cas particuliers : la salle de bain et la chambre. La salle de bain est un lieu d’activité physique qui dégage de la chaleur de part les usagers mais également de part la chaleur de l’eau utilisée, cependant, les usagers ne bénéficient plus de la protection de leurs vêtements, ce qui fait monter le seuil de température de confort. La chambre est un lieu d’inactivité physique (la plupart du temps) mais les individus au repos ont un seuil de confort plus bas car la température du corps s’abaisse légèrement pendant la nuit et le métabolisme ralenti.
Il y a un autre phénomène environnemental à prendre en compte : l’alternance du jour et de la nuit. En règle générale, la nuit est déficitaire en chaleur, en toute saison, et le jour excédentaire, en toute saison. Il faudra donc faire en sorte que l’habitat soit capable de garder l’excédent du jour pour le restituer la nuit de sorte à réguler les écarts importants qui ont lieu entre ces deux périodes. De même, l’été est excédentaire en chaleur alors que l’hiver est déficitaire. Dans l’idéal, notre habitat devrait donc être en mesure de stocker la chaleur de l’été pour la restituer en hiver.
Toutes ces prescriptions sont en quelque sorte le cahier des charges de notre habitat. Je le répète, ce cahier des charges ne correspond que à cet habitat précis, dans cette région, dans ce climat, avec des habitants de cette culture. Il faut réécrire la liste des prescriptions pour chaque projet ayant des paramètres de départ différents.
très bon article qui donne les bases du bioclimatisme, pour bien prendre en compte les spécificités du climat.
Merci.
Julien
Très riche en information. Les concepts sont très bien vulgarisés, merci.
mélanie