Rénovation, patrimoine et écologie
Tout le monde est d’accord sur le constat. Le secteur du bâtiment devra consommer beaucoup moins d’énergie au 21ème siècle. Mais c’est à peu près la seule chose qui fait unanimité. Se mettre d’accord sur la manière de s’y prendre dans le neuf est déjà une gageure (voir à ce sujet les articles concernant les sketchs de la RT française ). Mais sur l’ancien, et ce vaste domaine qu’est la rénovation, c’est encore pire. Car il ne s’agit plus là juste de batailler sur les intérêts économiques contradictoires des uns et des autres, en plus on ajoute la préservation du patrimoine, et une bonne dose de préjugés culturels pour tous les partis en présence (préjugés dans le sens premier : avis considérés vrais sans démonstration ou confirmation objective).
Fait divers :
Mon point de départ est un fait divers. Ayant hérités de l’ancienne maison familiale, une petite fermette vigneronne du Val de Loire, mes parents décident d’en faire la rénovation car le bâtiment semble, même pour un néophyte, en mauvais état (la toiture fuit partiellement, les réseaux sont hors d’âge, le système de chauffage central est fichu et la chaudière électrique a menacé de créer un incendie, etc. ). Je réalise le diagnostic du bâtiment, ainsi que les plans qui n’existent pas. La construction est trop vieille et résultat de transformations successives remontant à plusieurs siècles : personne n’a plus les plans, si tant est qu’il y en ai jamais eu.
L’ancienne maison est composée d’une longère alignée sud sur la rue, avec une grange au nord formant une sorte de T inversé vu du ciel. Les pièces ne comportent pas de cloisons, et sont toutes séparées par des murs de refend massifs assez rapprochés (environ 4m de large). A cause de la profondeur de la maison et de la pente de toit d’environ 42°, l’étage est immense, mais précédemment inutilisé. Le bâtiment a subi un certain nombre de travaux lors de la fin du 20ème siècle : couverture en fausses ardoises amiante-ciment, enduits ciments sur les façades, peinture synthétique des encadrements en pierre, mise en place de réseau de chauffage central sans isolation, etc. En somme, un cas tout à fait ordinaire.
Le projet de rénovation prend corps autour de trois axes majeurs :
préserver l’ancien et ses alentours immédiats de la spéculation immobilière (qui a transformé la petite commune rurale en bordure d’Orléans en immense lotissement)
utiliser des techniques écologiques, durables et non polluantes
redonner au bâtiment un rôle d’habitation répondant aux besoins actuels
Les choix techniques se portent sur une isolation extérieure en matériaux naturels, finition enduite à la chaux traditionnelle. Le chauffage sera assuré par une PAC eau/eau enterrée et un plancher chauffant, adjoint d’un appoint solaire thermique. La façade sud sera augmenté d’une véranda, et l’étage aménagé en profitant du fait que la toiture est à refaire, et qu’elle sera rehaussée de 30cm pour loger l’isolation et passer ainsi au dessus des murs pour faire connexion continue avec l’isolation extérieure. (nous reviendrons plus tard sur la question des choix techniques).
L’aspect final extérieur de la maison ne change pas en volume, il « gonfle » d’environ 20cm dans toutes les directions mais garde la même proportion. Les finitions apparentes sont identiques en texture et couleur à l’ancien : couverture ardoise, murs enduits chaux nature (en tout cas à l’ancien tel qu’il était à l’origine, et non pas à ce qu’il est avant travaux). En revanche la véranda et les lucarnes en toiture sont de réelles modifications, non traditionnelles et non réalisées dans le respect des techniques d’alors, pour la bonne et simple raison que les combles n’ont jamais été utilisés en espace de vie dans ce type de constructions : il n’y a donc pas de « bonne manière » de le faire.
Situé dans le périmètre d’un bâtiment classé, comme beaucoup de constructions anciennes, le projet doit avoir l’aval de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF pour la suite) et c’est là que ça se gâte. Malgré une prise de contact en amont de la demande pour obtenir son avis et trouver des compromis, l’avis rendu est le suivant :
– « l’ABF émet un avis défavorable pour les motifs ci-dessous : L’isolation par l’extérieur et la pose de grands capteurs très visibles ne sont pas compatibles avec la réhabilitation d’une vieille longère. Nota : tout caractère disparaît. Autant démolir et reconstruire une maison neuve » 1 Il a été difficile sur le coup de comprendre en quoi la démolition préservait mieux le patrimoine que la rénovation, mais plusieurs années après, l’unanimité se dégage auprès de toutes les personnes qui ont lu cet avis : nous n’avons pas la même définition de ce que signifie « préserver le patrimoine », et si l’avis émis peut sembler justifiable, le nota est en revanche grotesque pour tout le monde.
Mais ce dernier avis n’était en fait que l’apothéose d’une suite d’exigences incompréhensibles :
Pour la déclaration de travaux de la citerne d’eau de pluie enterrée, la DDE 2 avait refusé au prétexte qu’il n’y avait pas la distance suffisante entre cet ouvrage et les habitations, eu égard à l’article du PLU qui concerne les vues sur… les baies. Il n’y a évidemment pas de baies dans une citerne, et un ouvrage enterré ne porte pas d’ombrage sur les baies des bâtiments avoisinants, ce que la mairie avait reconnu de bonne grâce, passant outre l’avis de la DDE. (Cette aventure fait sans suite à un excès d’honnêteté de notre part, car en toute logique, les gens qui construisent quelque chose enterré qui ne se voit pas gagnent manifestement à ne rien demander… et n’ont pas d’ennuis. )
Pour un autre permis précédent concernant le bâtiment annexe, en cours de ruine et dont le réparation était urgente, l’ABF avait émis l’avis favorable à condition que « la couverture utilisée soit la même que sur la maison principale ». Or à ce moment-là, cette maison était couverte à 60 % de fausses ardoises en amiante-ciment, à 30 % de tuiles mécaniques oranges, et le reste en tôles diverses. L’avis émis ne faisait donc que refléter l’état d’ignorance totale du contexte par celui qui l’a émis, car s’il avait pris la peine d’étudier le site, il aurait vu à quel point cette condition était absurde.
Finalement le projet a pu passer outre toutes ces turpitudes, car l’ouvrage classé est une petite porte de l’église, qui ne présente aucune covisibilité avec le projet, ne donnant aucun caractère obligatoire à l’avis de l’ABF (ce que ce dernier n’a pas mis un soin particulier à expliquer, c’est le moins qu’on puisse dire. Le flou a été maintenu tout du long sur le rôle et le pouvoir réel des différents services, et en l’absence de personnes mieux informées et compétentes à la mairie, il est fort probable que ces blocages n’auraient pu être levés, faute de connaître leur nature facultative. « Nul n’est sensé ignorer la loi » : certes, mais elle est si complexe que même les spécialistes n’en connaissent que des bribes, ce qui fait le jeu de tous les abus possibles.).
Cet exemple (datant de 2004) ne fait pourtant pas figure de situation exceptionnelle, et au contraire, témoigne plutôt bien de la manière dont les projets de rénovations sont traités réglementairement. L’objet ne sera pas ici de faire un réquisitoire anti-ABF, celui concerné par le projet a sans doute essayé de faire son travail du mieux qu’il pouvait, et en toute sincérité : peu importe.
Préservation ou muséification ?
L’hebdo gratuit de l’agglo d’Orléans du 16 mai 2013 titrait « Patrimoine : faut-il vraiment tout protéger ? » et faisait écho dans l’article aux péripéties de différents projets opposant le triptyque ABF – Élus – Citoyens, tantôt dans le même camp, tantôt opposés, mais toujours en conflits dans les multiples projets d’aménagement de la ville, notamment suite aux travaux pour remettre des tramways. Les points d’affrontement sont souvent jugés incompréhensibles par la population : en quoi le fait de disposer des zones fleuries ou engazonnées sur les passages du tram portera-t-il atteinte à la cathédrale ? Pourquoi un village minuscule écrasé par la présence de tours aéroréfrigérantes de centrale nucléaire devrait refuser des couvertures en ardoise au motif que les crochets brillent trop ? L’article cite le constat d’un maire qui conclut « Les gens ne demandent plus d’autorisation, ou bien n’osent plus rien entreprendre sur leurs maisons ». Les élus d’une grosse collectivité comme Orléans, eux, préfèrent batailler aux tribunaux.
Le système actuel n’est guère convaincant, beaucoup de travail est gaspillé par toutes ces démarches, alors que le résultat ne satisfait personne. L’ensemble forme un cercle vicieux particulièrement destructeur :
- 1- N’ayant manifestement pas les moyens d’assurer toutes leurs missions, les ABF vont au plus pressé sur de nombreux petits projets (ce qui abouti à des avis ridicules comme certains pré-cités, par méconnaissance du contexte).
- 2- Devant des réponses absurdes, les citoyens se disent que ce système est idiot et liberticide. Ils condamnent donc d’un bloc la totalité des avis, y compris ceux qui seraient pertinents. Les quelques réponses absurdes suffisent à effacer toutes les connaissances pourtant réelles, des architectes conseils sur l’histoire de l’art, la construction et le patrimoine.
- 3- Ainsi convaincu que les architectes « ne servent à rien », les citoyens dans les collectivités se laissent guider par les intérêts économiques et les préjugés culturels, ce qui conduit à une urbanisation catastrophique, centrée sur une vision fantasmée de la vie rurale, le court terme, le lotissement et un découpage du territoire en grandes zones reliées par des autoroutes comme dans simcity 3.
- 3bis- La gentrification des anciens centre urbains, résultante d’une hausse des coûts des travaux et d’une modification des usages sociaux des lieux, pousse les ménages modestes vers la périphérie, ce qui provoque une inflation sans fin des lotissements et des infrastructures de transports. Voir à ce sujet un article intéressant et pourtant très ancien, montrant bien que le problème n’est pas nouveau 4
- 4- L’objectif pourtant partagé par tous de préserver le cadre de vie et le patrimoine est raté alors même que nous avons depuis longtemps toutes les connaissances et toutes les technologies pour l’éviter.
De nombreuses publications s’intéressent déjà à cet épineux sujet, nous n’en diront donc pas plus ici. Nous allons en revanche en ajouter une couche, car en matière de rénovation comme en neuf, ce qui est le plus important c’est ce qui ne se voit pas !
Quelle performance thermique pour la rénovation ?
Dans le projet cité au début de ce billet, l’ABF suggérait que la démolition était plus adaptée que la rénovation prévue. Il s’appuyait sans doute uniquement sur des considérations esthétiques, mais en terme de coût, la conclusion aurait pu être la même : isoler un ancien bâtiment par l’extérieur pour le rendre passif, ça revient grosso modo à construire une nouvelle maison par dessus l’ancienne, et … ça coûte plus cher que d’en faire une neuve. Pourquoi plus cher ? N’avons nous pas déjà des murs ? Si mais justement, c’est plus une gène qu’autre chose, car ces anciens murs sont trop épais pour nos besoins et ils sont mal placés pour faire une distribution intérieure des pièces conforme aux besoin des ménages contemporains. Ils ne sont pas construits avec des impératifs modernes : ils sont capillaires et déformables. Ces deux caractéristiques entraînent des complications dans les possibilités techniques pour les améliorer qui coûtent plus cher que dans le neuf. En outre il y a des éléments qui seront forcément détruits : soit parce qu’ils sont trop endommagés, soit parce qu’ils sont trop gênants dans la nouvelle distribution de l’espace. Enfin, les dimensions des anciens bâtiments ne sont pas calquées sur les standards des matériaux modernes (rectangulaires), et les pièces sont rarement d’équerre, ce qui entraîne de très importantes opérations de découpes et retouches pour toutes les couches de matériaux. Ainsi, à surface habitable et performance équivalente, c’est toujours plus cher de rénover que de construire neuf.
La donne change du tout au tout si on prend en compte le coût en énergie grise car dans ce cas la rénovation s’impose comme une évidence. Il y a là un paradoxe sur lequel la société devrait s’interroger et travailler : pour le moment c’est objectivement moins intéressant de rénover, alors que pour la société et notre futur à tous, c’est la solution qui devrait s’imposer car elle économise énergie et matériaux.
Si la seule incitation à la préservation de l’ancien qu’on ait ne concerne que son allure esthétique, cela conduit à des effets pervers divers liés à la muséification. Le meilleur moyen d’assurer la continuité dans le temps d’une construction, c’est d’assurer la continuité de son usage, car ce sont les usagers qui l’entretiennent et la réparent. Certes, ils la transforment aussi au passage, mais c’est justement par ce processus même que le patrimoine protégé d’aujourd’hui nous est parvenu, ce n’est donc pas logique de vouloir interrompre cette évolution normale. A partir de la période industrielle, ce processus a commencé à produire des résultats contre-productifs, par méconnaissance des incompatibilités entre les matériaux anciens et nouveaux (processus qui se poursuit malheureusement encore aujourd’hui). Il serait infiniment plus profitable que l’expertise des ABF produise un travail d’assistance et d’information pour éviter ces erreurs, et guider les habitants dans leur travail d’amélioration et de transformation de leur habitat, plutôt que la mission actuelle de leur envoyer des avis absurdes sur des détails esthétiques que personne ne remarquera (hormis quelques spécialistes). Le nombre de bâtiments anciens qui ont été ruinés pendant le 20 ème siècle faute de savoirs-faire et de connaissances adaptées est effrayant, mais ce qui est encore pire c’est que ces mauvaises pratiques continuent aujourd’hui !
Quel est le problème posé par les matériaux modernes ?
Cette question fondamentale mérite une explication détaillée. On peut classer les constructions existantes dans trois grandes catégories, selon leur époque :
- Avant 1948
- Entre 1948 et 1973
- Après 1973
Chacune d’entre elle représentant environ 1/3 du parc existant.
Il est nécessaire de bien faire cette distinction, pour ne pas mélanger dans le même panier des constructions « anciennes » mais d’une nature totalement différente comme celles qui sont vraiment traditionnelles et celles qui ont été construites après la guerre, avec des matériaux nouveaux et industrialisés. Jusqu’à une période récente, on considérait que tous les bâtiments construits avant la première réglementation thermique étaient des épaves thermiques extrêmement énergivores 5. Les connaisseurs du bâti traditionnel supputaient déjà une erreur dans ce raisonnement, qui ne correspondait pas aux faits observés : les très vieux bâtiments semblaient avoir des performances thermiques nettement meilleures que celles de ce qui a été construit après guerre. Des études ont été menées, comme le programme BATiment ANcien (BATAN), pour détailler cette question 6
La réponse est sans équivoque : le bâti ancien, s’il n’a pas été malmené par des rénovations inadaptées au cours du 20ème siècle, a un comportement thermique réel sensiblement équivalent aux maisons modernes construites sous la RT2000. On est donc très loin des épaves thermiques des maisons d’après guerre. L’autre constat, c’est qu’on ne sait pas calculer aujourd’hui ce fonctionnement avec les logiciels de thermique utilisés pour la conception de construction neuves. Donc il ne faut pas essayer : l’outil est juste inadapté. (en vérité ce constat n’a rien d’étonnant, un logiciel se contentant de simplifier la réalité pour la rendre calculable, il doit nécessairement faire l’impasse sur de nombreuses choses. Si le projet étudié est trop différent du domaine de validité initial du logiciel, ses résultats deviennent de plus en plus faux. Ainsi un logiciel de calcul RT est totalement incapable de fournir un résultat qui ne soit pas complètement absurde pour un bâtiment ancien).
Pour autant, les anciennes constructions réclament quand même une amélioration de leurs performances, pour diminuer leur consommation, car si elle est bien moindre que ce qu’on supposait, elle reste largement trop grande pour une société soutenable. Mais dans ce cas comment ce fait-il que nos ancêtres aient perduré avec ces principes constructifs pendant des siècles, me direz-vous ? C’est très simple : ils ne vivaient pas comme nous. Ils ne passaient pas 22h/24 chaque jour dans un lieu clos et tempéré, n’attendaient pas de leur logement une ambiance intérieure climatisée en toute saison, et ne considéraient pas non plus comme obligatoire de consommer plus de 50m² par personne. Ce sont nos usages modernes des anciens bâtiments qui plombent leurs bilans énergétiques, c’est pourquoi nous avons deux pistes pour ramener leurs consommations à la normale (le passif) :
- Changer notre mode de vie et revenir à celui du 19ème siècle (peu crédible ? Sans doute…)
- Modifier les constructions pour les rendre plus performantes qu’elle ne l’étaient à l’origine.
Il est naturellement possible de trouver une voie intermédiaire, mais considérant la tendance actuelle de notre mode de vie, il semble très peu probable qu’elle ne s’inverse et conduise les gens à se contenter d’une surface plus faible par habitant et d’une tempérance moindre de leur atmosphère intérieure… 7
L’amélioration thermique ne doit pourtant pas se faire de manière basique : prendre une vieille construction et lui ajouter un belle couche d’isolant par l’intérieur + un produit étanche sur les murs extérieurs (peinture, enduit ou autre) aura toutes les chances de produire un résultat désastreux.
- Destruction progressive de la cohésion du mur, à cause de la modification des flux de vapeur et d’humidité normaux en son sein (réactions chimiques, oxydations diverses, déplacements de sels, dissolution des mortiers, éclatements dû au gel des zones saturées, etc.)
- Destruction rapide des ouvrages en bois en contact avec les murs (planchers, murs en pans de bois)
- Développements de moisissures (celles qui se voient à l’intérieur ne sont que la partie émergée de l’iceberg qui ronge tous les éléments biodégradables internes de la structure)
- Absence d’amélioration nette du bilan de chauffage (très nombreux ponts thermiques + humidification rapide des anciens murs = conductivité thermique augmentée sur tous les défauts thermiques structurels, annihilant une bonne partie des gains des zones isolées)
- Dégradation du confort d’été (l’inertie naturelle se trouvant « enfermée dehors » ne profite plus à la climatisation de l’atmosphère interne qui surchauffe alors facilement)
- Dégradation de la qualité de l’air intérieur (en cas d’absence de mise en œuvre d’un système de ventilation artificiel pour compenser étanchéification des murs et de l’enveloppe. N’ayant plus de moyens de ventilation, le bâtiment concentre la vapeur d’eau et les polluants issus des occupants, de leurs activités, de leur mobilier, et éventuellement les polluants inhérents au site comme le radon, faisant de l’habitation une zone véritablement malsaine).
Voir à ce sujet de plus amples détails dans un étude réalisée en Belgique sur les problèmes potentiel d’une isolation intérieure sur du bâti ancien. Sur une liste de 7000 cas de murs étudiés, 45 % des cas sont rejetés et considérés comme produisant des désordres, et seuls 1/3 des cas sont validés. Or, la majeure partie des travaux entrepris d’isolation intérieure ne se font pas dans ce 1/3 de solutions, qui plus est considérées mises en œuvre de manière idéale. Cela laisse supposer une estimation d’environ 2 cas sur 3 de travaux qui produiraient des résultats néfastes au lieu d’améliorer le bâtiment… 8
Donc même si la réglementation pousse aujourd’hui dans ce sens, il ne faut pas céder à la précipitation de réaliser des travaux « d’amélioration » d’anciens bâtiments sans avoir au préalable fait un vrai travail de conception pour vérifier leur pertinence. Malheureusement, la majeure partie des entreprises proposant des travaux d’amélioration sont encore aujourd’hui ignorantes des différences fondamentales entre bâtiments d’avant guerre et ceux d’après, et proposent des techniques modernes sur tous les bâtiments, en toute bonne foi et pensant sincèrement améliorer la situation. Ceci sera sans aucun doute à l’origine d’une grande vague de sinistres et contentieux dans les deux décennies à venir…
L’objectif au fait, c’est la performance thermique ou… le confort ?
La réglementation moderne se focalise sur des seuils de performance : tant de kWh/m².an, tant de conductivité thermique pour telle paroi ou telle baie vitrée, etc. Il est vrai que c’est assez facile de juger si on a atteint ces seuils ou pas, cependant, sont-ils représentatifs de l’objectif initial que nous poursuivions ? Il faut consommer moins d’énergie, mais pourquoi consomme-t-on l’énergie ?
Pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire : parce que nous souhaitons vivre dans un environnement climatisé en toutes saisons. Parce que nous souhaitons ne jamais ressentir le froid, ni la chaleur, quelles que soient les conditions environnementales réelles.
Pour l’éclairage : parce que nous avons décidé qu’on ne calquerait plus notre emploi du temps sur celui de la nature, et poursuivrions notre activité sans tenir compte de la dictature des jours ou des saisons.
Pour faire fonctionner notre électroménager : parce que nous avons besoin de ces multiples esclaves électriques pour rendre possible notre mode de vie.
Chacun de ces usages peut être réduit soit en modifiant le besoin (mais on va considérer que, comme le mode de vie américain, il n’est pas négociable). Ou alors en modifiant la quantité d’énergie consommée pour parvenir au résultat escompté. Il ne s’agit pas juste d’un simple problème d’efficience : est-ce qu’une maison très isolée est forcément confortable ? Nous savons bien que non. Et nos ancêtres le savaient aussi. Faute de pouvoir utiliser des techniques d’isolation et de chauffage sophistiquées, ils ont développé et mis en application divers principes simples, permettant d’accroître le confort perçu par les utilisateurs, que nous réunissons aujourd’hui dans une famille appelée « correction thermique ». Il ne s’agit pas de faire barrage aux calories, mais d’agir directement sur la perception du confort par les occupants des lieux. On n’a pas besoin qu’il fasse réellement 20°C si on a l’impression que c’est le cas. (L’inverse est aussi vrai : si le thermomètre indique 22°C mais qu’on sent un courant d’air froid, la sensation de l’occupant de sera pas bonne et il sera tenté de monter encore plus le chauffage.)
La correction thermique c’est quoi cette bête là ?
Un exemple simple permettra à tout le monde de comprendre pourquoi ce n’est pas forcément la résistance thermique de l’isolant qui compte : les vêtements. On peut tous mesurer à quel point le simple fait de passer une épaisseur ridiculement faible de tissu suffit à modifier considérablement la sensation de chaleur ou de fraîcheur perçue. Ce n’est pourtant pas la formidable résistance thermique offerte par 1 mm de coton qui fait un barrage aux pertes de calories. De même, ce n’est pas l’épaisseur infime de quelques microns de la toile de tente qui constitue une paroi « isolante ». Et pourtant ça marche. Pourquoi ? Parce que les êtres humains ne sont pas des thermomètres.;)
Notre confort thermique est en fait un état d’équilibre entre ce qui sort (la dissipation permanente de notre chaleur métabolique) et ce qui entre (les radiations de l’environnement, la chaleur de l’air) . Et le maître mot de cet état est DYNAMIQUE. Car notre activité provoque plus ou moins de pertes, et l’environnement nous envoie plus ou moins d’énergie, et l’ensemble varie en permanence.
Le fait de mettre une simple couche de tissu entre notre corps et ce qui l’entoure modifie considérablement les échanges d’énergie, en renvoyant une bonne partie des rayonnements métaboliques. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la couche soit épaisse, il suffit qu’elle fasse un écran plein aux infrarouges. Un fort déplacement d’air peut modifier la donne, en passant au travers du tissu, et en chassant la chaleur par convection, faisant fi de la barrière aux infrarouges. Ceci peut agir négativement (le vent froid d’hiver qui passe au travers du pull et qui oblige à mettre un « coupe-vent » par dessus) ou positivement (la brise d’été qui rend supportable le tee-shirt en nous rafraîchissant au travers).
Ces phénomènes ne sont pas limités aux vêtements, mais peuvent être utilisés aussi sur les habitations. Ainsi, tous les éléments de « décor » traditionnel ne sont pas des accessoires de mode pour faire joli, mais sont en réalité des vêtements de maison, spécifiquement conçus pour jouer un rôle thermique. Le fait qu’ils soient jolis n’est qu’un effet secondaire (tant qu’à faire ce peut, autant rendre esthétique l’élément technique visible).
Tapisseries murales et de sol, rideaux, lambris et habillages menuisés, tentures, carrelage et faïences, jouent tous un rôle très précis en matière de confort, et ce depuis la nuit des temps :
- Dans les grottes et abris de fortune, les habitants construisaient une tente en peaux ou en tissu dans l’abri. Celui-ci protégeait de la pluie et des agressions physiques (vent, soleil, objets projetés, neige etc.) quand la tente assurait la protection thermique. L’ensemble délimitait deux espaces : la zone de vie, restreinte, et ce qu’on appellerait aujourd’hui les dépendances, plus vastes, mais moins tempérées.
- Dans les châteaux moyenâgeux et les demeures de pierre, les murs étaient recouverts de tapisseries et autres rideaux. Les sols de même. Malgré ces efforts les volumes trop vastes restaient trop froid en hiver, ce qui a fait perdurer l’usage de la « tente » à l’intérieur de la chambre : le lit à baldaquin. Un des avantages de cette méthode est sa réversibilité, car pendant la saison chaude, les draperies peuvent être retirées pour laisser la pierre apparente jouer son rôle de climatiseur.
- Dans les demeures bourgeoises de la renaissance, l’espace de vie était recouvert sur les murs de lambris et habillages divers en bois. Ces habillages se situent uniquement sur la partie habitée, ils s’arrêtaient en général à la hauteur de la tête, sans rejoindre le plafond, car jouant un rôle de réflexion de la chaleur il était inutile qu’ils se trouvent dans la zone supérieure des pièces.
- Dans les pays chauds, les espaces sont au contraire laissés en matières minérales apparentes, voir recouvert de carrelages, faïences ou mosaïques. En effet ces matériaux ont un effet inverse, et absorbent la sensation de chaleur au lieu de la renvoyer. Les hammam dans les régions chaudes sont habillés de céramique, alors que les sauna des pays nordiques sont intégralement boisés : ce n’est pas un hasard.
Conclusion
Dans les maisons modernes, nous avons complètement oublié toutes ces stratégies thermiques pourtant éprouvées et couronnées de succès, et considérons maintenant que la dernière couche d’un mur, celle qui se voit, ne sert qu’à « décorer ». Ceci nous permet d’adopter des assemblages totalement contre-productif tels que de mettre une épaisse couche d’isolant, plus de la recouvrir avec de la céramique pour une salle de bain. Le corps humain ne sera pas capable de ressentir l’effet de l’isolant, ce qui oblige à mettre une température de chauffage élevée. La chaleur est certes relativement bien conservée par l’isolant sous la céramique, mais on aurait eu besoin de moins de chaleur, si on avait mis moins d’isolant mais un revêtement en bois par dessus.
Ces techniques de correction thermique peuvent (et devraient ! ) être utilisées dans les maisons neuves, mais prennent un intérêt tout particulier dans le cas de la rénovation des bâtiments anciens. D’abord, parce que leur redonner ces secondes peaux n’est que justice, et conforme à ce pour quoi ils ont été conçus. Ces éléments mobiles ont été perdus ou détruits, et oubliés, mais ils étaient là normalement. Ensuite, parce que tout comme pour les vêtements, en matière de correction thermique ce n’est pas l’épaisseur qui compte, et cela permet d’éviter tous les problèmes d’emprise au sol liés à la mise en œuvre d’une véritable isolation : soit sur l’intérieur, réduisant des espaces de vie déjà minuscules, soit sur l’extérieur, empiétant sur les limites des propriétés.
Attention, on ne peut pas tout faire avec la correction thermique. On ne rend pas un bâtiment passif juste avec ça, en tout cas pas sans modifier également radicalement le mode de vie des occupants. Pour autant, c’est un vrai drame que de passer à côté de ces technologies, en se focalisant par dogmatisme sur des réglementations ne prenant en compte que les valeurs de résistance thermique, alors qu’elles ne reflètent pas la perception réelle des habitants. Il est dommage que ces techniques soient les grandes absentes des incitations fiscales et subventions, alors que ce sont les plus efficientes, en terme de coût, de rapport investissement-bénéfice rendu, de même qu’en bilan environnemental.
Évidemment, la recherche ne s’est pas intéressée à ces sujets et nous avons donc maintenant un retard considérable sur la compréhension des phénomènes en jeu (mais leur usage multimillénaire précédent devrait suffire à établir leur viabilité). Nous n’avons pas non plus de logiciels de thermique capable de simuler ou prendre en compte ces réalités, ce qui n’aide évidemment pas à leur mise en application sur le terrain. Mais ce n’est pas parce qu’on ne sait pas le calculer que ça n’existe pas !
Nous devrions au contraire investir massivement dans la recherche sur ces sujets pour en sortir des applications rapides et simples à mettre en œuvre à très large échelle, et pour un faible coût, permettant peut-être de trouver un début de solution au chantier de l’amélioration thermique de l’ensemble du parc existant, que nous devons réaliser en moins de vingt ans. (ou plutôt que nous devrions avoir fini depuis vingt ans…)
Merci beaucoup pour vos différents billets d’information. C’est toujours formateur et plaisant de parcourir vos rédactions de qualité, emplies de bon sens.