L’énergie primaire conventionnelle, un concept « poussiéreux »
La mise en place de la RT2012 aura vu de nombreux débats tout au long de l’avancement de la loi Grenelle, et jusqu’aux recours en annulation de la RT2012 déposés début janvier 2011 par Uniclima et le Gifam 1.
En fil médian se trouve la ligne développée par BBC-Effinergie, qui prône un indicateur unique en énergie primaire, exprimé en valeur absolue (et non comme la RT2005 selon une valeur de référence). Cette valeur de 50 kWhep/m² SHONRT.an influe sur les choix énergétiques, qui sans restreindre l’utilisateur, impose d’importants niveaux d’isolation dès que son choix se porte sur un chauffage électrique classique 2.
Du coté des défenseurs de la filière « tout électrique », représentés par les syndicats ayant déposé le recours en annulation, puis mi 2011 par une association les regroupant 3, on argumente, d’une part sur la non pertinence d’un indicateur unique sur l’énergie primaire, qui favorise les solutions gaz, d’autre part sur le bilan avantageux du chauffage électrique en terme de CO2 et coûts de fonctionnement.
L’argumentation n’est sur le fond pas fondamentalement fausse (la RT avantage effectivement les solutions qui peuvent être fortement émissives en CO2), mais elle s’arrange avec la réalité pour faire passer des solutions émettrices en CO2 (le chauffage électrique) comme favorables 4. Pour cela, elle argumente sur la remise en cause d’un facteur d’émission CO2 par usage pour l’électricité, pour tendre vers un facteur d’émission global, avantageant le chauffage électrique, sans considération aucune du problème posé par les pointes et la saturation des moyens de production.
Il nous semble qu’il faille faire très attention à cette proposition 5 , qui sous couvert de remettre en cause le raisonnement sur l’« énergie primaire », remet en cause le principe du BBC. En effet, un « 50 kWh/m² SHONRT.an » en énergie finale ne signifiant pas autre chose que les standards constructifs de la RT2005.
Un concept alternatif à l’énergie primaire de la RT est de plus en plus utilisé : l’énergie primaire non renouvelable (démarche Passivhaus, référentiels utilisés par les appels à projets des régions Bourgogne, Centre…). Ce principe est nettement plus intéressant à plusieurs titres :
déduisant la part fournie par les énergies renouvelables, la valeur en énergie primaire correspond effectivement aux efforts pour réduire la consommation d’énergie fossile (ce que l’énergie primaire de la RT2012 ne fait pas, considérant au même titre le bois que le fioul ou le gaz) ;
pris en compte sur la base des moyens de production d’électricité actuels, le coefficient est adapté à la réalité, ce que n’est pas le coefficient sur l’électricité de 2,58 reconduit par la RT2012, où un coefficient qui ne considère pas pour les énergies fossiles la part liée à la production et l’acheminement de l’énergie (qui peut représenter jusqu’à 30% de l’énergie mise à disposition). 6
L’énergie primaire non renouvelable dispose aujourd’hui d’un bon retour d’expériences. C’est par exemple le principe mis en avant par la construction passive.
Un tel principe semble donc nettement plus efficace que l’énergie primaire conventionnelle proposé par la RT2012 et le BBC.
Par contre, il nous est indispensable d’affirmer qu’un bâtiment basse consommation doit également être faiblement émetteur en carbone. La seule manière d’y aboutir est d’ajouter un deuxième indicateur 7. Celui-ci est notamment indispensable dès que l’on considère dans les règles de calcul des coefficients CO2 par usage pour l’électricité, afin que cela ne pénalise pas injustement telle ou telle solution technique 8.
On se rappellera que la mise en place d’un garde-fou sur le CO2 faisait partie des recommandations du rapport de l’OPECST, proposition qui n’a malheureusement pas franchi l’étape des travaux en commission qui ont suivi, notamment sur le motif que les coefficients CO2 à adapter pour les énergies ne sont pas « prêts ». C’est argument ne nous semble pas recevable : les données existent foot]Voir par exemple « Analyse comparative des méthodes de calcul du contenu CO2 de l’électricité destinée au chauffage » réalisée pour l’association Energies et avenir.[/foot]; il suffit simplement de les prendre en considération. Le seul élément contestable étant peut être le bilan carbone réel de la filière nucléaire, qui apparaît dans le bilan 2010 de RTE comme générant moins de CO2 (anthropique) que la filière bois, en prenant pour hypothèse les valeurs d’EDF, qui mériteraient donc d’être calculées par une tierce partie.
L’énergie grise
La prise en compte des coûts environnementaux cachés est un élément essentiel de l’optimisation énergétique d’un projet. En effet, plus les bâtiments sont isolés et plus la part liée à l’énergie contenue dans les matériaux de construction prend de l’importance. Ceci va jusqu’à remettre en cause les économies de fonctionnement générées par des matériaux d’isolation à forte énergie grise, qui, à partir d’une certaine épaisseur, ne compensent plus l’énergie nécessaire à leur fabrication / mise à disposition / vie en œuvre / fin de vie.
On ne pourra donc que regretter, alors que le CSTB propose dans sa méthode de calcul une version « provisoire » du calcul du confort d’été, qu’il n’ait pas été introduit un garde-fou sur l’énergie grise, quitte à le rendre évolutif. Il est absurde de remettre à 2020 une exigence sur un sujet de cette importance (en termes d’impact et pour la valorisation des filières courtes et des matériaux bio sourcés) 9.
On regrettera également la considération française de l’énergie grise qui se base sur des fiches déclaratives non expertisées fournies par le fabricant, et pas sur des données génériques qui permettraient une harmonisation des données. Or, le débat démocratique est confisqué sur la question par les industriels, partie prenante de quasiment tous les logiciels d’évaluation d’énergie grise et bilan carbone, aboutissant à une situation presque comique ! Ces acteurs dominants avec au premier rang le CSTB, véhiculent l’idée que l’énergie grise n’est pas si conséquente et assez proche selon les procédés constructifs, alors que des différences significatives apparaissent si l’on considère des moyens de calcul non basés sur les jeux de données françaises 10.
ET tout le reste…
On s’aperçoit vite que l’analyse sous le seul angle de la thermique, cantonné à des indicateurs rassemblés derrière le concept d’ « énergie primaire conventionnelle pondérée », et justifié principalement par un calcul théorique, peut être un piège, et les différents biais listés jusque-là se révéler autant de freins à la lisibilité nécessaire pour faire valoir des choix pertinents.
Pour autant, même si les projets vont plus loin que le cadre réglementaire sur la question de la performance d’enveloppe, de l’énergie primaire, du confort estival ou de l’impact CO2, fort est de constater que l’on ne peut pas se limiter aux indicateurs sur les consommations pour jauger un projet.
On notera que jusqu’à présent, la seule esquisse faite pour les années à venir est le sujet « Bâtiment à énergie positive », ou BEPOS 11. S’il propose d’un point de vue marketing un concept vendeur, il rassemble des contradictions évidentes non encore résolues 12. Imposer à chacun de disposer d’une production électrique est sur le papier attractif, mais pose la question de son financement : soit des subventions massives et/ou des tarifs d’achats importants (le maître d’ouvrage y verra alors un investissement rentable), soit accepter que l’acte de construire devienne réservé à une clientèle haut de gamme, du fait de la hausse des coûts de construction induite par l’obligation de production électrique.
Se pose aussi la question de la pertinence de disposer d’installations décentralisées gérées par des individus, en rapport avec des productions électriques renouvelables plus centralisées gérées par des opérateurs dont c’est le métier (dans l’idéal un service collectivisé). Ce n’est pas le concept d’énergie positive qui pose problème14, mais le fait de vouloir en faire un objectif réglementaire pour les bâtiments avec les conséquences que cela induit… alors que la réflexion sur l’autonomie énergétique sur une échelle un peu plus grande (le quartier, la commune, le territoire…) permet de valoriser des solutions plus larges, fonction des potentiels locaux.
On voit que le problème réside dans le cadre et dans les orientations que la réglementation énergétique devrait promouvoir. Le cadre de la « maison » influe sur les questions d’urbanisme (par exemple la maison individuelle et ses alternatives vis-à-vis de la conséquence de l’acte de construire sur le déplacement), sur les questions de santé (la qualité de l’air par rapport aux taux de renouvellement d’air réglementaires et les pollutions à prendre en compte, le problème du radon qui pourrait impliquer des niveaux d’étanchéité à l’air plus ou moins élevés en fonction de la zone construite, …), sur la prise en compte du niveau de confort : thermique, acoustique, lumineux… Il sera nécessaire de prendre en compte l’ensemble des sujétions comme critère de décision. Cela implique de redéfinir les critères de performance en les élargissant : une vraie grille d’analyse globale faisant des indicateurs énergétiques une part de la réflexion vers une démarche environnementale et se fixant pour objectif de conduire cette transition nécessaire, en impliquant l’ensemble des acteurs.
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La confusion qui est souvent faite est de considérer le rapport entre la consommation primaire et la production brute d’électricité, qui donne pour la France un coefficient de 2,76 en 2009. Le problème étant que 20% de cette électricité sert à l’alimentation du parc des centrales, le coefficient à utiliser doit donc être le rapport entre la consommation primaire et la consommation finale d’électricité, qui donne pour 2009 un coefficient de 3,31.