Nous étions assez critiques envers le texte de loi Grenelle I concernant la réglementation thermique 2012, et plutôt circonspects devant les débats des sénateurs sur la loi Grenelle II concernant les modalités de son application, puisque les sénateurs n’avaient pas l’air de savoir ce qu’était une étude thermique, ce qui est assez préoccupant lorsque le débat porte sur l’évolution des réglementations thermiques. Les législateurs avaient renvoyé plusieurs décisions importantes à un office parlementaire, l’OPECST, pour évaluer notamment l’opportunité de modifier les facteurs de conversion des énergies primaires, et évaluer l’impact économique de la transition vers ce « saut » performantiel. Le rapport de l’office vient d’être rendu, il arrive dans un contexte particulier, puisque le BBC-Effinergie vient de modifier ses règles, et que la loi Grenelle II vient d’être votée, que le CSTB finalise le moteur de calcul de la RT 2012. Disons le tout net, ce rapport va dans le sens inverse des initiatives prises depuis le vote de la loi Grenelle I. Les propositions de ce rapport sont transversales, et donnent un carnet de route détaillé et argumenté sur les méthodologies et moyens à mettre en œuvre pour effectuer une transition réglementaire vers la RT 2012. Sans être en accord avec l’ensemble des propositions, ce document va dans le même sens que les propositions que nous avons eu l’occasion de formuler dans les notes précédentes.
Le document peut être consulté ici : https://www.fiabitat.com/doctypes/FICHIER_2009_12_04_1023660.pdf
Les mesures détaillées dans ce rapport sont très riches, elles nécessiteront de revenir sur chacune en détail, à l’occasion de futures notes. On peut résumer les mesures proposées ainsi :
1- Améliorer la conception et réalisation
- Afin de limiter les écarts constatés entre le calcul règlementaire et la réalité, bien sensibiliser les occupants, organiser un suivi de maintenance des projets afin de suivre les consommations réelles, livrer avec le bâtiment des instruments de mesure des consommations d’énergie.
- Revenir de la logique « calcul réglementaire » comme seul outil guidant les prescriptions, notamment du fait de la problématique de sa pertinence. Seul le résultat mesuré est fiable. Donc le calcul doit s’en rapprocher (ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui)
- Prévenir les contournements de la réglementation, et repenser le contrôle de la réalisation. Le fait que 50 à 60% des maisons individuelles ne respectent pas la réglementation thermique nécessite de revenir sur la logique prévue dans le grenelle II, ou le maitre d’ouvrage doit apporter la « preuve » que son bâtiment respecte la norme thermique. Cet état est déséquilibré, car celui ci n’a qu’un pouvoir de négociation limité pour obtenir les rectifications nécessaires face à ses prestataires. « Si le respect de la norme repose sur le maitre d’ouvrage, il faut qu’il disposer lui-même du pouvoir de la faire respecter ». La commission propose donc d’imposer un test d’étanchéité à la livraison du bâtiment, d’un contrôle de la performance de l’isolation, sur lequel il pourra se baser pour demander des rectifications éventuelles.
2- Modulations des 50 kWh/m².an et facteurs de conversion
- L’Ademe a suggéré à la commission de revenir sur les usages considérés par la valeur des 50 kWh/m².a, et de considérer dans un premier temps uniquement le chauffage et l’eau chaude. La commission propose au contraire de maintenir les 5 usages (chauffage/clim/eau chaude/ventilation/éclairage). Revenir sur l’ambition de la valeur garde fou n’est pas compatible avec le planning imposé par le dérèglement climatique.
- Promotelec et le lobby du chauffage électrique ont proposé de moduler le facteur de conversion de l’électricité à 1 pour la production d’eau chaude. Proposition qui avait été défendue par le rapporteur de la loi grenelle et avait abouti à la saisie de la commission de l’OPECST. La commission propose de conserver le facteur de 2.58 pour tous les usages électriques, car moduler serait travestir la réalité. Elle propose également de mettre un facteur de 1 pour la biomasse (comme la RT2005, mais contraire au BBC qui propose 0.6).
- Ajouter un garde fou sur la production de gaz à effet de serre, pour mettre en avant les solutions énergétiques les moins polluantes. Proposition de garde fou à 5 kg/CO2 par m².a.
- Revenir sur la prise en compte du photovoltaïque. Il n’est pas logique que lorsque l’on produise de l’électricité photovoltaïque pour revente, celle ci permette de faire une maison moins performante. Les seules énergies déductibles sont celles consommées sur place.
- Moduler le 50 kWh/m² selon le zonage climatique du BBC Effinergie
- Prendre en compte le confort d’été de manière plus poussée. Imposer à la construction la mise en œuvre d’un équipement puits canadien, PAC en rafraichissant, équipement de clim (tout en faisant que son impact énergétique reste dans le seuil des 50 kwh/m² -ce qui avec les facteurs de conversion rendra quasi impossible la mise en place d’une clim-)
- Moduler le seuil pour les petits logements, car les consommations spécifiques (l’eau chaude notamment) les pénalisent alors que la RT devrait favoriser des volumes habitables moins grands.
- Revoir la manière de prendre en compte le tertiaire, car un logement et un hall d’aviation, l’usage n’est pas identique, et cela ne sert à rien d’être bien isolé si les hangars sont ouverts. Axer la démarche tertiaire sur la performance effective
« Cette approche conduit à décomposer tout bâtiment en zones homogènes du point de vue de la fréquence d’occupation, pour chacune desquelles la solution optimisée de maîtrise de la consommation d’énergie est spécifique : les zones occupées de manière continue (les bureaux, par exemple) doivent prioritairement être optimisées du point de la qualité de leur bâti, car elles ont relativement moins à gagner à une action exclusive sur la gestion active de l’énergie; à l’inverse, pour des zones peu fréquentées (les hangars), la gestion de l’énergie est d’un intérêt bien plus grand que l’amélioration du bâti, car le confort des visiteurs occasionnels n’y est généralement pas une priorité. Ainsi, dès le stade de la conception, la recherche de la performance énergétique doit s’inscrire dans une démarche d’utilisation optimisée des ressources, ce qui permet d’assurer une maîtrise au plus juste des coûts de construction. »
3- Améliorer la mise en œuvre
- Assouplir les règles des PLU et règlements d’urbanisme souvent contraignants par rapport à la qualité architecturale et la performance énergétique
- Marchés publics : généraliser les marchés « conception-réalisation »
- Intensifier les efforts sur la formation professionnelle
- Certifier les professionnels, notamment en s’inspirant de la démarche lancée par la CAPEB du label « eco-artisan » et de la FFB « pro de la performance énergétique »
- Impliquer les industriels fabriquant les produits de construction, en s’inspirant notamment des expériences suisses (minergie) et Allemagne (Niedrigenergiehaus), afin de réduire les surcouts dus à une résistance des industriels aux évolutions de la réglementation. A cette occasion, les rapporteurs soulignent l’action de lobbying dont ils ont été les victimes :
« Afin de préserver un espace pour le marché des systèmes à effet Joule, au moins à titre temporaire, jusqu’à ce que la pompe à chaleur thermodynamique soit opérationnelle pour les logements collectifs, Promotelec et Atlantic revendiquent une fixation à 1 du coefficient de conversion au bénéfice de l’eau chaude électrique, en plus d’une modulation selon la surface du bâtiment variant de 40 à 105%. Mais ce dispositif reviendrait pratiquement à pérenniser la réglementation actuellement en vigueur (RT 2005), et à effacer la prescription de l’article 4 de la loi du 3 août 2009. Lors de leur visite du site d’Atlantic à Orléans du 18 novembre 2009, vos rapporteurs ont été soumis à la pression d’un chantage à la destruction d’emplois : l’usine qui fabrique sur place des convecteurs à effet Joule, à savoir une chaîne d’assemblage où l’on emboutit et peint des tôles, puis on monte des modules électrotechniques conçus ailleurs, occupe 250 salariés. Ils étaient implicitement montrés comme autant d’otages prêts à être sacrifiés pour forcer la décision des pouvoirs publics.«
- Sensibiliser les citoyens sur l’évolution réglementaire à venir. Utiliser les réseaux existants des Points info Energies pour cela.
- Imposer l’intervention de l’architecte pour tout projet de construction (donc revenir sur la règle des 170 m² shon), pour améliorer la qualité architecturale, en se basant notamment sur l’expérience allemande, ou les architectes ont joué un role prépondérant dans le mouvement vers les bâtiments basse consommation.
- Le contrôle des autorités doit plus être tourné vers les maisons individuelles qu’actuellement. Les DDE doivent connaitre « une révolution culturelle », afin d’acquerrir une compétence sur le contrôle des bâtiments basse consommation
- Sanctionner les bâtiments pris en défaut de non respect de la RT 2012. Mise en avant de la procédure pénale simplifiée : l’ordonnance pénale, pour ces litiges.
« Dans la mesure où certains éléments objectifs permettent de vérifier la qualité d’une construction à sa livraison, on pourrait imaginer que le maître d’ouvrage puisse disposer du moyen de provoquer la sanction pénale du maître d’oeuvre si ces éléments objectifs ne sont pas réunis au moment du contrôle technique effectué par un tiers. Ces éléments objectifs sont la perméabilité et l’isolation. La perméabilité se mesure par le test de la porte soufflante, d’usage courant en Suisse et Allemagne. L’isolation s’évalue, d’après nos interlocuteurs de Schneider travaillant sur le projet « HOMES », en suivant la décroissance de la température après une surchauffe intérieure du bâtiment. En tous cas, la menace d’une sanction pénale rééquilibrerait le rapport de force entre le particulier et son maître d’oeuvre, lequel se trouverait plus enclin à effectuer les corrections nécessaires, à ses frais, si, après vérification par un tiers, la construction ne respecte pas la réglementation thermique. Ce dispositif permettrait au particulier de sortir du piège où l’enferme l’obligation d’attester luimême le respect de la réglementation. »
- Réfléchir au financement des surinvestissements nécessaires pour atteindre le respect de la RT 2012. La commission met notamment en avant que le seul moyen véritable est de permettre aux foyers d’emprunter plus, car ils auront une facture énergétique moins élevée. Et relever que pour que cela fonctionne, il faut être certain que les factures seront largement diminuées, sous peine de mettre les maitres d’ouvrage en difficulté. Et souligne donc l’importance du contrôle et du suivi.
La commission souligne que lors de ses auditions, il y a eu un débat sur le surcout d’investissement. On retrouve Promotelec une fois de plus dans les mauvais éleves.
« La question du surcoût induit par les méthodes de construction permettant d’atteindre la basse consommation était au coeur de toutes nos auditions, et les réponses recueillies se partageaient en deux groupes:
– tous les interlocuteurs déjà impliques dans des réalisations pilotes ont mentionné une fourchette allant de 5 à 15%, en soulignant le rôle de l’effet d’apprentissage dans la diminution prévisible de ces chiffres. De fait, il est certain que toute équipe ayant participe à un premier projet à basse consommation se mobilisera de manière plus efficace sur le deuxième projet, et ainsi de suite, l’expérience permettant effectivement une meilleure maîtrise des coûts;
– certaines personnes (Bastide-Bondoux, Geoxia, Promotelec) ont mentionné un surcoût prohibitif, surtout pour les petites constructions.
Vos rapporteurs sont en définitive convaincus que le surcoût restera raisonnable des lors que l’effort pour atteindre la basse consommation se fondera sur une approche véritablement nouvelle de la construction. Nous avons observe que les annonciateurs de prix prohibitifs raisonnaient toutes choses égales par ailleurs, en faisant comme s’il s’agissait simplement de renforcer un peu l’isolation, et en exagérant tous les obstacles a la prise en compte des apports naturelles (contrainte sur l’orientation du bâtiment, masquage par les immeubles voisins). »
Divers & conclusion
Le rapport détaille ensuite quelques propositions, notamment de pistes de recherche, sur les isolants minces et isolants sous vide, sur la possibilité d’utiliser la chaleur perdue par les centrales nucléaires pour faire des réseaux de chaleur, travailler sur des systèmes améliorant la qualité de l’air intérieur, sur l’évolution des pompes à chaleur et les plate formes technologiques et l’ouverture aux marchés extérieurs. Et propose un raisonnement sur la prise en compte des gaz à effet de serre générés par le chauffage électrique (sur lequel nous reviendrons car il apporte une réflexion interessante).
Il est à signaler également que à la suite de la publication de ce rapport, Yves cochet a publié un communiqué (que l’on retrouve ici), ou il conclut :
« Ce rapport qui préconise notamment l’obligation d’installer la climatisation dans tous les bâtiments neufs ainsi qu’une série de mesures défavorables aux énergies renouvelables (bois-énergie et photovoltaïque), est en contradiction avec l’esprit et la lettre du Grenelle de l’Environnement.
Ces recommandations aboutissent à éliminer toutes les filières technologiques à l’exception d’une seule : celle des pompes à chaleur électriques. Alors que chaque hiver la France est confrontée à des pointes de consommation susceptibles d’entrainer une panne du système électrique, ce rapport représente une fuite en avant vers toujours plus de consommation électrique.
Yves Cochet condamne ce rapport favorable au lobby électro-nucléaire et demande l’application des principes énoncés lors du Grenelle de l’Environnement, donnant la priorité à la réduction des consommations d’énergie et au développement des énergies renouvelables.«
Il nous semble que mr Cochet aurait du lire ce rapport de manière un peu plus détaillée, car si quelques propositions sont discutables (nous y reviendrons aussi dans de prochains billets), ce rapport est nettement plus pertinent que tout ce que les législateurs ont pu produire jusqu’à présent, et n’est pas l’émanation d’un lobby mais une production intellectuelle très bien argumentée, qui est loin de valoriser le chauffage électrique et le premier de ses promoteurs Promotelec. Il suffit de voir à contrario la voie prise par le BBC et le texte de loi grenelle II (ou nos sénateurs ne semblent pas savoir ce qu’est une étude thermique) pour s’en convaincre.
l’analyse du rapport de l’OPECST ici
Beau travail de synthèse et enfin un rapport qui va dans le bon sens…
Alain
A signaler également :
Le rapport OPECST souhaite-t-il enterrer les objectifs du Grenelle ?
http://www.cler.org/info/spip.php?article7599
Il est inutile de préciser que nous mettons ce communiqué du CLER dans le même sac que celui de Yves Cochet.
tant que tous les labels et normes ne seront pas soumis a l’obligation de résultat par une mesure a la livraison permettant d’émettre des réserves nous n’avanceront pas!
Je rejoint la position de Mr Cochet concernant l’obligation de rafraichir ou de climatiser. Comme si la seule réponse au confort d’été passait par forcément par un puits canadien ou une clim …
Et l’archi bioclimatique alors ?
Je pense que de toute façon, ce genre de proposition n’avait aucune chance de passer, rien que par le fait que cela élève mécaniquement le cout de la construction. Cela n’a même pas été discuté d’ailleurs.